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Emmanuel Pisani (E.P.) : On assiste aujourd’hui à une crise de la vérité. C’est le retour des rois sceptiques. Comment expliquez-vous cette crise que traverse l’occident ?

Georges Cottier (G.C.) : Cette crise de la vérité a de nombreuses racines dans l’histoire. Elle est due à certains courants philosophiques, mais aussi certains chrétiens qui l’ont défendue par des moyens qui ne sont pas dignes d’elle. Dans la déclaration sur la liberté religieuse, le concile Vatican II affirme que la vérité ne se défend qu’avec les armes de la vérité. Or, la vérité chrétienne est reçue de la Révélation de Dieu. Cette Révélation comporte toute une morale, dont le « Sermon sur la Montagne ». Dieu nous dit ce qu’est la vérité, mais aussi comment je dois la recevoir. La vérité est un don. Je ne l’ai donc pas méritée, je suis comme dit saint Paul un vase fragile et je peux la compromettre si je me sers d’elle. Il y a une cohérence de la vie de foi qui est accueil de la vérité comme don. La marque la plus évidente de cela, c’est l’humilité.

E.P. : Dans votre livre « Questions de la Modernité », vous parlez de crise de la vérité comme crise de la contemplation. En quoi vérité et contemplation sont-elles liées ?

G.C. : La contemplation au sens chrétien consiste à avoir son coeur maintenu devant l’émerveillement du don de Dieu. Le mystère chrétien est extraordinairement beau. Dieu qui est amour, Dieu qui nous aime jusqu’au sacrifice de Jésus sur la Croix, jusqu’à l’Eucharistie, ce sont des données bouleversantes, objets de contemplation. Bien sûr, pour le chrétien, il ne s’agit pas d’une contemplation au sens purement intellectuel. Le coeur est aussi présent, et la contemplation est la réponse d’amour à ce don de Dieu. Etre contemplatif, c’est « prendre le temps de s’émerveiller de Dieu ». Notre culture ne sait plus s’émerveiller. Certains de ces courants ont voulu faire abstraction de Dieu. Grotius admirait tellement la beauté des lois du monde, qu’il considérait que le monde fonctionnait « comme si Dieu n’existait pas ». C’est devenu le slogan de la sécularisation.

Mais s’il n’y a pas une fontaine, une source de la vérité, les vérités partielles, du fait même qu’elles sont partielles, deviennent insignifiantes. C’est ce que Max Weber appelle le désenchantement du monde par la science. Or, la science ne devrait pas désenchanter. Au contraire,  plus on voit les merveilles de la découverte de la physique, de la biologie, plus on prend conscience de la beauté du monde. Or, le désenchantement est une fatigue. La vérité apparaît comme triste et fade, ce qui la cause d’un désespoir profond.

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E.P. : La revendication de l’universalisme du Christ n’est-elle pas empreinte d’une dimension impérialiste ?

G.C. : L’usage de ce vocabulaire politique est le signe que l’on n’a pas vu de quoi il s’agissait. L’enjeu n’est pas celui de l’impérialisme, mais celui du salut. L’homme trouve le sens de sa vie quand il reçoit dans son coeur la Parole du Christ. Et cette Parole n’est pas une parole humaine, c’est la Parole du Fils de Dieu. Comment un chrétien ne désirerait-il pas que partout l’Evangile soit annoncé ?

Le christianisme s’est diffusé par la prédication de pauvres, car ce sont eux les porteurs de la grâce de Dieu. On témoigne de la fidélité évangélique par sa présence, par son style de vie. Chacun est interpellé par l’Evangile. Cela n’a rien à voir avec de l’impérialisme. L’acte de foi est l’acte le plus personnel qui soit. On ne force pas les gens à croire. On veut que le message de Jésus arrive au contact de chacun.

Source : Emmanuel Pisani (dir.) – Michel Gourgues – 100 questions sur Dieu – Artège