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Je peux aussi bien vous répondre « à rien » que « à tout » ! Cela dépend du sens que vous donnez au verbe « servir ». S’il est pris dans une acception étroite, utilitaire, si vous voulez le comparer à une clef qui ouvre une porte, à un TGV qui vous transporte rapidement d’une ville à une autre ou à n’importe quel outil, on aura plutôt tendance à dire « à rien ». C’est ce que proclament tous ceux qui considèrent les choses du point de vue utilitaire. Paul Valéry définissait le prêtre comme un « préposé aux choses vagues » (Paul Valéry, Cahiers, CNRS, 3, p. 470 ; 4, p. 366). Ma grand-mère athée ne me répondait pas autrement quand je lui disais mon désir d’être prêtre : « Tu serviras à quoi ? »

Le verbe « servir » s’applique aussi à des activités qui ne sont pas matérielles. Je peux me servir de mes mains pour des choses très variées qui peuvent aller du plus concret au plus spirituel. Nous nous servons de notre intelligence pour écouter quelqu’un, pour réfléchir, réagir, prendre une décision. On peut dire aussi qu’une solide culture rend de vrais services… comme une bonne formation ou des diplômes, ça sert toujours ! En ce sens, dans des moments de souffrance, j’ai souvent entendu des gens me dire que le fait de croire leur avait vraiment rendu service. L’expression est naïve peut-être, mais elle est sincère et elle exprime quelque chose de vrai.

Quand on entre dans les relations interpersonnelles ou dans le domaine de la vie spirituelle, c’est plus délicat. Je ne sais pas si l’on demanderait à un enfant : « Elle sert à quoi, ta maman ? » ; on lui dira plutôt : « Tu l’aimes, ta maman ? » Voilà pourquoi je n’apprécie pas beaucoup ce mot à propos de la « religion ». On pourrait aller plus loin et dire que, d’une certaine manière, nous sommes dans une société d’autant plus humaine qu’un certain nombre de choses – les arts, la culture… – ne « servent » à rien, dans un environnement où l’utile et le rentable semblent être devenus les seuls critères d’évaluation. Benoît XVI a étonné tout le monde en écrivant que la gratuité avait sa place dans l’entreprise et qu’elle n’était pas du tout contraire à son développement (c’est le thème du troisième chapitre de son encyclique Caritas in veritate).

Cela dit, je n’ai aucun complexe à montrer aussi que la religion sert énormément dans nos vies. Elle tient tout en équilibre, parce que si l’homme se prend pour une valeur suprême, il se fourvoie. S’il n’a pas de références supérieures, s’il se croit infaillible et capable de juger de tout, il peut devenir le prisonnier ou l’esclave de ses lubies. Il peut se mettre à justifier n’importe quoi. Dostoïevski a résumé cela de manière abrupte : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis. » (Dostoïevski, Parole de Mitia (Dimitri) dans Les Fères Karamazov, 4e partie, livre XI, chap. 4).

Avoir une très haute idée de la condition humaine, de la noblesse de l’intelligence, de la volonté, bref de toute la personne humaine est beau et légitime. On voit cela inscrit dans toutes les religions et les cultures. Le psaume 8, par exemple, dit : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme pour que tu en prennes souci ? Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu » (v. 5-6). Et Sophocle, qui n’a rien à voir avec la culture judéo-chrétienne, s’exclame lui aussi dans Antigone : « Nombreuses sont les merveilles du monde, mais la plus grande de toutes reste l’homme ! »

Parfois, et peut-être trop souvent, l’orgueil fait déraper l’homme. C’est pourquoi il est utile que notre vie se déroule sous le regard de Dieu. La lumière de sa Parole et sa bonté nous éclairent, nous encouragent, nous remettent à notre place et nous aident à repartir. En ce sens, la religion, pour reprendre la formulation de votre question – même si je ne l’aime pas beaucoup –, est suprêmement utile !

Source : Cardinal Philippe Barbarin – Dieu est-il périmé? paroles humaines, paroles de feu – La Martinière